Voici une étude en 2 parties qui pose les questions essentielles, soulève des appréhensions autant que des certitudes, et qui nous amène à réfléchir. Une étude qui parle de destin, celui de l’humanité et de l’avenir de tous ceux qui la compose.
Une étude réalisée par Sacha Bergheim
Historien spécialiste des lumières allemandes -
Rédacteur et documentaliste au sein des Editions Israël-flash
De la réprobation à la réhabilitation.
Partie 1/2
À l’heure du vote de l’ONU consacrant la rupture quasi définitive avec le droit international où un État fictif est instrumentalisé pour mettre fin à toute souveraineté juive, il n’est plus possible de se contenter de lancer ici ou là, sans conviction, le vieux refrain des besoins sécuritaires d’Israël. À l’exception notable du Canada sous l’impulsion de Stephen Harper ou de la République Tchèque, qui garde en mémoire la « solidarité internationale » lors de son sacrifice imposé en 1938, les Nations ont privilégié renouer avec l’ancestrale déni de l’identité juive, plutôt que d’affronter plus de soixante-cinq années de mensonges.
Certains ne manqueront pas de penser, à la lecture de ces lignes, qu’il s’agit d’un énième exercice de « fraude intellectuelle » où le mot tabou d’« antisémitisme » viendrait immanquablement sanctionner toute opinion suspecte de sympathie pro-palestinienne. Et pour rependre à notre compte une phrase symptomatique de Marc Saint Exupéry (Israël: sur la réprobation de la réprobation, 2002) dans un article paru en plein accès de bonifacisme (où toute déconstruction de la critique anti-israélienne serait à la source de la « réprobation d’Israël »),
« la déception est à la mesure de l’amère surprise provoquée par la découverte progressive (et difficile à assumer à cause de la mauvaise conscience européenne) de la vaste fraude intellectuelle sur laquelle reposait ce mythe », notre propos étant à l’inverse consacré à surmonter notre accablement à l’égard de la mythification de l’histoire « palestinienne » en cherchant à voir au-delà des querelles de mots.
Les débats toujours vigoureux, opposant frontalement discours favorables et hostiles à l’État hébreu, sont loin d’être uniquement des joutes intellectuelles dont on sait pertinemment comment elles doivent se conclure dans notre paysage médiatique: par cette « réprobation » progressiste de l’Etat d’Israël, par lequel la mauvaise conscience européenne entend se racheter de ses propres culpabilités à l’égard des anciens colonisés.
Revenons à l’actualité: un point de non-retour a été franchi, le destin des Juifs comme peuple est engagé. Et ce ne sont pas les chantages des chancelleries sur l’ingratitude supposée de l’État juif après le soutien formel à l’opération « Pilier de Défense » qui atténuera ce constat. Pour autant, il n’est pas question de tomber dans un très relatif « complexe » de Massada et de renoncer à faire admettre qu’Israël a un droit égal à toute autre nation du monde d’être maître de son propre destin sans dépendre d’une charité internationale accordée de mauvaise grâce. Mais après des années de dénégation et de propagande effrénée appuyée pathologiquement par ces alter juifs en quête d’une improbable non-visibilité, la tâche ne semble-t-elle pas condamnée?
Cet article propose quelques réflexions sur une question essentielle dans la communication sur la guerre totale qui oppose, non un peuple à un autre au sujet du partage d’une terre, mais le peuple juif aux mythologies d’inspiration chrétienne ou islamique; ce qui nous permet de nous demander: pourquoi sommes-nous si inopérants?
Et au-delà du la situation au Proche-Orient: pourquoi certains conflits ont plus d’audience que d’autres? Faut-il renoncer à toute éthique en établissant une hiérarchie des victimes?
Et pour y répondre, nous oserons franchir la frontière intellectuelle de la bienséance française en n’hésitant pas à affirmer la parenté idéologique fondamentale entre l’antisionisme et la judéophobie atavique de la culture occidentale en convergence avec celui de l’islam.
Cela ne fait pas de tout « critiqueur », un horrible nazi, comme se complaisent à caricaturer les plumes de bon ton tout ce qui s’apparente à une possible remise en question de leurs propres postulats.
Et avec Adorno, nous n’hésiterons pas à avancer que la part funeste de l’héritage des Lumières n’est pas encore soldée, et avec Tuhiwai Smith, que les mêmes lignes directrices, issues des Lumières, qui ont légitimé le colonialisme, ce processus d’acculturation-anéantissement des cultures aborigènes, se retrouvent dans l’évolution des représentations collectives autour du droit à l’existence politique du peuple juif.
Mener une lutte inégale contre des paradigmes ancrés
Du côté des « antisionistes » – nous utiliserons par commodité ce terme pour désigner toute forme d’opposition au sionisme (de l’antisionisme primaire au criticalisme érudit) – la cause est entendue depuis longtemps.
Le manuel du parfait petit antisioniste met à disposition de ses adeptes toute une littérature d’apparence scientifique ou technique, censée appuyer et légitimer définitivement leur hostilité à l’égard de l’État juif. Et pour asseoir les certitudes, rien de tels que le recours à des « autorités » juives ou israéliennes: de Chomsky à Finkielstein en passant par Morris – devenu entre-temps coupable de trahison aux idéaux pacifiques –, de quoi ne pas être sous le soupçon de l’antisémitisme! Ah, diront certains, toujours cette obsession autour de l’antisémitisme!
Nous espérons que le lecteur de cet article prendra le temps de voir que nous cherchons une vision d’ensemble du phénomène et qu’à aucun moment, nous cherchons réduire individuellement chaque critique à une forme d’antisémitisme. Il ne s’agit pas pour nous d’une précaution esthétique, mais du cœur même de notre examen kulturhistorisch, d’histoire culturelle.
Que contient la doxa antisioniste?
Que l’État juif est accusé de collusion avec le national-socialisme, d’abuser d’une posture victimaire, de ne pas respecter le droit international, ou last but not least, d’occuper injustement, selon un plan machiavélique, une terre après avoir mis en place l’expulsion volontaire et brutale des « Palestiniens », qui y vivrait depuis « des temps immémoriaux ».
Pas un antisioniste ne manquera également de citer pêle-mêle Ben Gourion, Jabotinsky etc, en s’appuyant sur les sources de la « nouvelle histoire » israélienne, aujourd’hui en grande partie discréditée (sauf en France, mais allez savoir pourquoi!) par ses manipulations méthodologiques.
Cependant, les archives de ces mêmes auteurs permettent de démontrer le contraire de ce qu’on leur prête généralement: Jabotinsky dans son essai tant décrié, Le Mur d’acier, déclarait « prêter serment, liant nous-mêmes et nos descendants, à ne rien entreprendre qui puisse jamais s’opposer au principe des droits égaux, et à ne jamais rejeter quiconque [au sein de notre Etat] » tandis que Ben Gourion, qui avait témoigné devant la session du 8 juillet 1947 de l’UNSCOP son refus catégorique du transfert, avait clairement souligné que « dans notre Etat il y aura des Juifs et des non Juifs, et tous seront égaux, égaux en tout, sans aucune exception, c’est-à-dire notre Etat sera leur Etat. » [David Ben-Gurion, Ba-ma'araha, vol. IV, part 2 (Tel-Aviv: Misrad Ha'bitahon, 1959), p. 260.]
Une déclaration en hébreu non suspecte d’être tenue pour la forme à destination des pays occidentaux, à l’inverse des dirigeants arabes… Alors qui a raison?
En aucun cas, ceux qui s’arrogent le droit de sélectionner et tricher pour conformer le passé à leurs postulats haineux.
Par contre, comment ne pas s’étonner du silence obtus à l’égard de toute une série d’actes ou de programmes caractérisant l’histoire palestinienne: une collaboration avec le national-socialisme avérée sous l’égide de son leader principal, le mufti de Jérusalem, la rencontre de ce dernier avec le Führer (28 novembre 1941) quelques jours avant la funeste conférence de Wansee décidant de la « solution finale », la revendication à l’exclusivité victimaire incarnée par le slogan « la victime de la victime » ou par celui-ci « le seul et dernier peuple à ne pas disposer d’États » (ce sont les Tibétains, Hmongs, Lakhota, etc.. qui doivent apprécier…), et bien sûr, l’expression publique en arabe des projets génocidaires, mis en suspens par l’humiliante défaite de 1948 depuis les propos fameux du chef de la Ligue Arabe Azzam Pasha.
La participation des Frères Musulmans à la guerre d’invasion de l’Etat nouvellement reconnu par l’ONU en 1948 est réduite au rang d’anecdote, et la prière publique du président égyptien Morsi appelant à l’éradication des Juifs.
Aujourd’hui encore, ce programme génocidaire est répété dans nombres de médias arabes, Mein Kampf ou les Protocoles des Sages de Sion sont en bonne place dans les librairies du Caire ou de Damas. Et l’un des leaders de l’opposition syrienne n’est autre que le fils d’un ancien ministre de Assad père, connu pour être l’auteur d’un libellé accusant les Juifs de meurtre rituel. Il est bien sûr inutile de rappeler la Charte du Hamas qui s’appuie sur une tradition islamique (hadith) pour inculquer l’idée que le meurtre d’un Juif plairait à leur dieu.
Et si, pour citer Marc Saint Exupéry, « Et bien entendu, nos réprobateurs [au rang desquels serait classé votre serviteur, S.B.] ont tort: il n’y a pas de sale petit secret – vieil antisémitisme ou « nouvelle judéophobie » – derrière cette réprobation « disproportionnée » ». Il est tout aussi évident que Taguieff invente de toute pièce les multiples cas avérés de marques de haine antijuive et que cette haine vouée aux Juifs de façon pathologique, aujourd’hui particulièrement manifeste parmi les populations arabes principalement, n’est qu’un « détail de l’histoire » sans conséquence.
Cette littérature des bien-pensants qui croient de bonne foi, certainement, que tout sioniste est aveugle sur sa propre réalité, est aussi celle des subterfuges et des réécritures.
Dire que l’antisionisme est teinté d’une ambiguïté constitutive n’est pas interdire toute critique. Et souligner que l’artifice consistant à distinguer doctement antisionisme (légitime et progressiste) et antisémitisme (méchant et appartenant au passé ou à quelques franges marginales) s’avère d’une docte préciosité en Europe, mais perd tout crédit dès lors que l’on quitte les limites de l’ethnocentrisme européen.
Être attentif à la rhétorique antisioniste ne signifie pas en admettre ses présupposés ni ses conclusions. C’est mettre à jour la structure et les moyens mis en œuvre dans l’instrumentalisation de l’histoire ou de l’actualité afin d’y répondre autrement que par la concession ou le déni, comme cela a malheureusement été le cas par le passé.
Trop souvent, l’antisionisme est classé dans la catégorie des résurgences judéophobiques, ce qui est loin d’être faux, mais ne permet pas de comprendre l’audience que peut obtenir ce type de discours ni même son schéma explicatif du monde moderne à destination d’une audience qui n’a rien à voir avec l’antisémitisme primaire. Et n’entend-on pas trop souvent l’antisioniste amateur ou même un observateur se revendiquant d’un moyen terme (ni pro-israélien, ni pro-palestinien) rétorquer avec autant de facilité que de certitude que « l’argument » de l’antisémitisme ne serait qu’un paravent éculé pour exercer une censure contre la liberté d’expression.
Une censure qui aurait pour but de dissimuler encore les « mythes israéliens », d’éviter à l’arraché la condamnation morale d’Israël ou le dévoilement d’un lobby ou d’un complot juif mondial. Trouve-t-on néanmoins pareil souci critique à l’encontre des « mythes fondateurs du nationalisme palestinien »?
Les mythes d’un « peuplement immémorial » passant notamment sous silence l’intensité des phénomènes migratoires arabes depuis le XIXe siècle. Si ce peuplement était aussi ancien que prétendu et le sionisme une pure invention d’un nationalisme tardif, pourquoi donc cette politique de destruction systématique des antiquités juives par l’Autorité Palestinienne?
La parenté de l’antisémitisme et de l’antisionisme
La parenté idéologique de l’antisémitisme (entendu dans sa définition stricte, terme créé à l’origine par Wilhelm Marr pour désigner exclusivement la haine contre les Juifs, et non contre les « sémites » en général) et de l’antisionisme est manifeste. Si vous observez le discours antisioniste le plus courant, vous retrouverez aisément les poncifs de l’antisémitisme:
-la référence au peuple élu (compris comme appropriation exclusive de la divinité à des fins xénophobiques, et non dans sa qualification juive de l’élection comme exercice de responsabilité),
-les allusions à un Talmud raciste, ou au « judaïsme talmudique », avec les recueils de citations toutes tronquées, déformées et faisant fi d’un principe essentiel de la pensée juive que le Talmud n’est aucunement un manuel prêt-à-penser de doctrines immédiatement applicables, sans appel ni discussion,
-la qualification de barbarie, dont le montage Al Dura est l’avatar le plus exemplaire des calomnies qui ont jalonné l’histoire des persécutions antijuives.
Et les traces plus ou moins prégnantes de ces stéréotypes se retrouvent dans le discours antisioniste. Dans tous les cas, ce qui demeure, c’est que l’antisémite ou l’antisioniste revendiquent une connaissance du judaïsme, du sionisme, des Juifs en général qui surplombent celle que les Juifs ont en majorité d’eux-mêmes. Au besoin, un penseur marginal fera l’affaire, comme cet animal de foire envoyé de librairies en plateaux télévisés, Shlomo Sand, dont les thèses sur l’historiographie juive allemande (qui auraient inventé la notion de « peuple juif ») sont risibles pour quiconque lis l’allemand et a eu l’occasion de fréquenter la littérature allemande du XVIIIe siècle.
Mais au-delà de ces exemples caricaturaux, des stratégies de ce raisonnement plus anodines, au premier regard, mais plus sournoises, peuvent prendre devenir des vrais lieux communs.
Par exemple, la comparaison entre quantité d’eau par habitant, archétype de l’inégalité juive, faisant l’impasse sur les engagements palestiniens du volet « eau » des Accords d’Oslo ou sur les critères eux-mêmes de comparaison (présence d’industries, types d’agriculture, part de recyclage), est quasi immanquablement associé avec le récit de multiples tentatives d’empoisonnement par les Juifs.
Des photos d’une eau trouble seront fournies, avec la légende ad hoc, et permettent de renouer avec la figure du juif corrupteur, responsable de maladies et agissant de façon quasi-diabolique.
Utilise-t-on les mêmes procédés pour parler de la pollution causée par les municipalités arabes et déversée en conscience en direction de l’État hébreu? Non, mais pour une raison évidente inespérée: les médias n’en parlent pas, faillissant à nouveau dans leur sacro-saint devoir d’informer! Ce récit pourrait être celui d’une mauvaise enquête policière: mais où sont donc passée l’objectivité et la déontologie?
zzzzzComme nous pouvons le constater, la frontière est ténue entre l’antisémite radical et l’antisioniste politique: et il n’est pas besoin de se figurer un Juif sous les traits de la caricature antisémite pour abonder dans la logique qui est sous-jacente à ces mêmes préjugés.
Et passons du côté arabe, il est de notoriété publique que les caricatures, arabes en particulier, exploitent ad vomitam ce topos de la culture antisémite. Et cela ne gêne de toute évidence pas les consciences des inquisiteurs antisionistes!
Derrière la figure du sioniste, c’est l’altérité juive qui est refusée
À la lecture de la presse, on remarquera qu’un certain nombre de schémas se reproduisent de façon quasi systématique. Anne Lifschitz a illustré avec brio ce paradigme. La nature des faits invoqués et les modalités de mise en récit convergent systématiquement vers un portrait démonisé de l’individu juif à qui les acquis de l’émancipation et de la modernité sont désormais refusés: là où le collectif palestinien est individualisé souvent à l’extrême (patronyme, âge, composition de la famille pouvant varier d’un magazine à l’autre d’ailleurs…), le signe juif est réduit à une série de topoï généralisateurs: le colon, le soldat, l’ultra-orthodoxe (à quand le premier média national osant le terme d’« ultra-islamiste »?…) auxquels sont opposés les « bons » Juifs, le plus souvent de gauche (on remarquera avec intérêt la tendance de la presse française à citer des représentants du Meretz, parti dont la représentation politique est insignifiante au Parlement israélien, ou l’association subventionnée par l’Europe « La paix maintenant »), ou encore les Juifs folkloriques, tels les Neturei Karta, instrumentalisés par la propagande musulmane qui croit y retrouver l’image de son juif-dhimmi.
À quel critère peut-on discerner une logique judéophobique?
Lorsqu’elle exclut tout libre choix de l’individu et l’assimile à des règles transcendant son libre arbitre: la race pour les nazis, l’histoire pour les communistes, la religion aujourd’hui, que sais-je encore? Lorsqu’un citoyen français est agressé au motif qu’il serait juif et qu’on nous explique que l’agresseur agit en réaction aux « injustices » subies par les palestiniens, ne considère-t-il pas que la solidarité qu’il impute à sa victime est dû à une détermination biologique ou à son appartenance supposée?
Il est difficilement niable que cette agression ait un autre motif que la judéophobie. La généralisation a pour effet que, à l’exception notables des alterjuifs « utiles » à la cause, chaque Juif est censé agir selon un schéma prédéterminée soit par la religion, les rites ou la race.
Quel auteur anti-… n’a-t-il pas usé de la référence automatique au « Crif »? Ce stéréotype est largement répandu sous différentes formes: combien sont ceux qui sont convaincus qu’un Juif aurait toujours plus de solidarité envers un autre Juif que pour un autre citoyen? Résurgence du reproche de différenciation fait à l’époque des Lumières où l’on dénonçait l’endogamie et la kashrut comme le principal obstacle à une fraternité judéo-chrétienne?
Tribalisation du Juif réduit à des réflexes de groupe au détriment des autres individus?
Ou encore image de la déloyauté juive, qu’avait illustrée la position dite anti-dreyfusarde?
Formulons ces questions de façon différente: demande-t-on aux autres populations immigrées des garanties de loyauté?
Quand bien même les marques de déloyauté (Marseillaise sifflée, drapeaux des pays du Maghreb au détriment du drapeau tricolore, refus de l’enseignement tel que pratiqué dans les programmes, imposition de règles alimentaires aux non-musulmans) sont avérées?
Non, car si le racisme à leur égard a une réalité, elle s’inscrit dans la problématique de la xénophobie.
En revanche, la rhétorique antisémite consiste à accuser les Juifs de pratiquer une exclusion qu’elle concrétise en actes et en paroles. Cela peut être sous la forme de la déception (à l’égard des « promesses » du sionisme que la gauche avait idéalisé).
C’est en reprochant aux Juifs de maintenir une priorité tribale, alors qu’il s’agit d’un groupe social parmi les plus ouverts à l’exogamie et à l’abandon de la pratique religieuse, que l’antisémitisme croit justifier l’exclusion qu’il pense et organise.
Cette priorité prend à leurs yeux aujourd’hui le nom de « sionisme ». Est-ce que les meurtriers de Juifs prennent vraiment le temps pour de telles arguties sur la signification profonde ou cachée du sionisme?
À ce titre, l’antisionisme emprunte à l’antisémitisme ses schémas structuraux les plus élémentaires.
L’idée du boycott anti-israélien n’est pas seulement choquante parce qu’elle fait écho directement à la politique de ségrégation mise en place par l’Allemagne nazie, elle n’est pas seulement absurde puisqu’elle condamne toutes les formes déjà existantes de coopération israélo-arabe, mais surtout, elle s’inscrit dans un système axiologique où l’universel est valable pour tous à l’exception des Juifs.
Ce n’est pas sans faire écho à l’universalisme paulinien qui pratiquait un universel retranché du signe juif. Et c’est précisément parce que l’idée du boycott est une pièce essentielle de cette logique d’exclusion qu’elle ne relève pas d’une méthode d’action prétendument non-violente.
Analysons les choses d’une autre façon: quiconque s’intéresse à l’histoire du Tibet n’ignore pas les exactions inimaginables commises encore jusqu’à aujourd’hui contre une population et une culture subissant un processus d’acculturation forcée et une colonisation territoriale et démographique manifeste. Parmi les organisations dites humanitaires, qui défend l’idée d’un boycott de la Chine?
Personne n’a boycotté le Soudan en dépit des massacres de populations noires au Darfur ou au Sud. Pourquoi donc ce militantisme contre Israël dont les défenseurs assureront vigoureusement qu’il n’a rien à voir avec l’antisémitisme?
Pourquoi une telle partialité si l’on accepte de prendre en compte la situation d’autres peuples?
Contrairement à ce que certains pensent imaginer, il ne s’agit pas de diminuer ou de soustraire l’Etat d’Israël ou encore le nationalisme juif à la critique, mais de réinscrire ce jeu critique dans une analyse soustraite au pathos de la mauvaise conscience européenne. Marc Saint Exupéry estime à cet égard que
« Pour l’essentiel, le palestinocentrisme est encore une forme paradoxale de judéocentrisme »:
Il perçoit bien l’indécence morale de ces priorités médiatiques et politiques, mais il en inverse la cause. C’est précisément en raison de la négation pathologique de l’Holocauste que son devoir de mémoire prend cette forme défensive.
N’était-ce pas Hitler qui avait fait le constat de l’oubli du génocide arménien de la conscience collective européenne?
De la même façon, si certains geignent rien qu’à la pensée que l’Etat d’Israël serait « intouchable », ne devraient-ils s’interroger sur la nature même de leurs critiques?
Si l’on devait résumer à grand trait un des indices les plus patents d’une logique judéophobe, ce serait ainsi. Deux conditions doivent être réunies: la première consiste à faire du Juif, ou ses avatars tels que le sioniste, l’israélite, le colon etc le facteur unique de l’échec d’un projet utopique, celui d’une société meilleure.
Le philosophe juif des Lumières Saul Ascher dénonçait ce procédé dès 1794 après avoir lu le premier traité politique du philosophe allemand Johann Gottlieb Fichte: pour Ascher, la judéophobie politique consiste à imputer aux Juifs la responsabilité du non-avènement d’une société de paix, sans conflit et avec justice sociale. Qu’entend-on tous les jours? Que les colons sont responsables des violences des banlieues, du jihadisme et de la pauvreté dans le monde!
La seconde condition peut être décrite ainsi: la logique antisémite projette sur la figure du Juif ce qu’il réalise en acte. Les nazis accusaient les Juifs de vouloir dominer le monde, mais ce sont les nazis, qui, en se justifiant de la sorte, ont mis en œuvre le programme le plus effroyable de domination mondiale.
Les islamistes accusent les Juifs de dominer le monde et dans cette perspective expliquent la rétrogradation culturelle du monde arabo-musulman contemporain, enfermé dans la recherche d’un bouc émissaire à ses propres insuffisances.
Et, s’appuyant sur ce ressentiment savamment entretenu, que promettent les médias dans le monde arabe?
Vaincre l’Occident, dominer le monde, voir le drapeau de l’islam flotter sur Rome, le 10 Downing Street ou la White House de Washington! Fanfaronnade, diront certains. Il n’empêche que si vous promettez à l’instar du NSDAP la fin des difficultés économiques et sociales par un projet belliciste, il y a de fortes probabilités que ce programme sera réalisé dès que les conditions sociales ou politiques sont réunies! Les Tsiganes, grands oubliés de la conscience européenne, en ont payé le prix le plus sévère.
D’autres diront que les « sionistes » ont toujours tendance à amplifier et à exagérer avant de ramener la couverture à eux. Mais cessons de nous voiler la face, que dit l’histoire?
Ce sera selon le cas, le Juif orthodoxe, le Juif bolchévik, le Juif capitaliste, et aujourd’hui le Juif-colon, responsable de la « centralité du conflit israélo-palestinien ».
La solution apparaît alors de toute évidence: il suffit que soit éliminé le dénominateur commun pour que tous les problèmes du monde cessent! À une époque où un Juif n’avait aucun droit, le philosophe allemand Fichte ne déclarait-il pas qu’il faudrait « couper la tête des Juifs et leur mettre une tête allemande » avant même de penser à leur accorder des droits égaux ?
2ème partie
Par Sacha Bergheim – rédaction israel-flash